Quand le mot « bénévole » devient péjoratif…
« Espèce de bénévole ! ». Une nouvelle insulte a fait son apparition chez les jeunes dans une partie de la banlieue en Ile de France*.
Le mot « bénévole » serait ainsi devenu hautement péjoratif.
Un dangereux glissement sémantique qui fait vaciller un peu plus les bases d’une citoyenneté déjà malmenée ça et là. Bénévole.
Du latin benevolus : bienveillant, dévoué (in dictionnaire français-latin Le Gaffiot). Autant de valeurs nobles qui semblent devenir des tares scélérates.
« Un bénévole, c’est une balance (un délateur, ndlr) », explique Christian 15 ans à Mantes la Jolie, « une double face », ajoute Medhi (entendez par là quelqu’un d’hypocrite, quelqu’un de qui il faut se méfier).
La mutation du sens du mot bénévole reste très perverse et insidieuse.
Car les jeunes, et surtout les plus jeunes, qui s’approprient et propagent cette insulte, n’ont souvent pas conscience de toute la portée symbolique de cette nouvelle connotation.
Pire : « certaines personnes du corps enseignant s’autocensurent par rapport à l’emploi du mot bénévole, qu’elles trouvent malheureusement désormais trop connoté », explique un prof de collège à Mantes la Jolie.
Bénévolage : action de bénévoler ?
Le germe est planté, et s’enracine déjà dans quelques codes de langages urbains.
Tout comme les nouveaux sens pris, en banlieue, par des mots usuels comme « vieux » ( un vieux pull n’est plus un pull usé mais un pull affreux) ou mythoner (nouvel homophone de mitonner et dérivé du mot Mythomane, devenu mytho transformé ensuite en verbe mythoner et qui signifie donc mentir).
Certaines déclinaisons de « bénévole » pourraient tout à fait voir le jour.
Et il ne serait pas étonnant qu’apparaîssent des mots comme « bénévolage » ou « bénévoler », autant de néologismes probables pour signifier moucharder.
Quid de l’origine de ce nouveau sens du mot « bénévole »?
Connaissant les dynamiques de langage en banlieue, il est possible qu’il ait pu apparaître ainsi : un jeune estimant qu’une personne en ait dénoncé une autre pour rien aura pu dire : « Il l’a balancé cadeau ». Pour renchérir ensuite avec : « il l’a balancé gratuitement ».
Et que la notion de gratuité fasse spontanément surgir le terme « bénévole ».
A cet égard, on peut établir un parallèle avec « Barry White ». Le célèbre chanteur de soul est devenu, dans les années 80, une interjection dans certaines banlieues par simple homophonie entre saoul et soul.
Pour dire qu’une personne saoule (argot), qu’elle vous ennuie profondément, vous pouvez juste dire « Barry White !» et tout le monde comprendra. Le verbe « barrywhiter » (prendre la tête) a, par ailleurs, vu le jour.
Huggy les bons tuyaux, un « bénévole » célèbre
Le galvaudage du mot « bénévole » témoigne également de valeurs urbaines caractéristiques.
Il n’est pas de bon ton, en effet, d’être une balance dans les cités, n’en déplaise au bien sympathique Huggy les bons tuyaux (cf Starsky et Hutch), sans doute le plus célèbre « bénévole » du PAF.
Savoir se taire et fermer les yeux sur certains agissements coupables, à l’image d’univers carcéral ou mafieux, est une vertu revendiquée ou un simple gage de tranquillité. Chacun se mêle donc de ses oignons…
Le nouveau sens du mot est enfin (et surtout) un camouflet inconscient aux 13 millions de bénévoles en France** qui donnent gratuitement de leur temps, de leur énergie pour soutenir telle ou telle cause ou action.
« Espèce de bénévole » ou des mots de maux d’une partie de la société malade, à certains égards, de son vivre ensemble.
Il est donc plus que jamais nécessaire, aujourd’hui, de (re)créer du lien, mortier d’une solidarité constructive et d’une saine citoyenneté.
* Le phénomène a été uniquement observé à Mantes la Jolie et reste peut être circonscrit à la ville.
Il convient dès lors d’éviter toute généralisation intempestive, même si le phénomène reste révélateur d’un grave glissement sémantique.
**La France des bénévoles, ed. Gualino, 2009 (Etude conjointement menée entre les associations Recherches & Solidairés et France Bénévolat).
Papier réalisé en partenariat avec l’association Les Tirailleurs